Heather Coleman

Anastassia poussa la porte de la chambre n°12 d'un coup sec avant de la claquer brusquement derrière elle. Comme une furie, elle descendit les marches des escaliers à toute vitesse, un sceau à la main, bousculant quiconque se trouvait sur son passage. La jeune fille était sur les nerfs. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'elle soit dans un tel état de colère ? La réponse à cette question est bien simple : Druck. L'homme avait débarqué dans la chambre assez tôt ce matin là, et il avait insisté pour que ce soit elle qui soit de corvée. Anastassia n'avait pas pu s'empêcher de contester sa décision, et voilà que désormais, ce n'était pas seulement aujourd'hui qu'elle devait remplir ce maudit sceau, mais tout le reste de la semaine. Non mais et puis quoi encore ? La jeune fille était totalement d'accord avec le principe. Chaque jour, un jeune de chaque chambre se chargeait d'aller récupérer de l'eau à la rivière - && encore, elle avait insisté durant les premières semaines pour en être dispensée - mais que ce soit à elle d'y aller trois jours de suite, c'était se foutre de la gu**le du monde ! Enfin ... pour ce que le monde était devenu ... Bref. La veille déjà, elle avait dû sortir dans le froid pour rapporter de l'eau à ses camarades de chambre à la place de Kasey. Certes, ce n'était pas la faute de la jeune femme, mais Anastassia ne pouvait pas s'empêcher de lui en vouloir un petit peu. Après tout, elle aurait pu insister auprès de Druck pour y aller ! Mais non ! Elle n'avait rien dit. La jeune Pouchkine avait donc été dans l'obligation de sortir dans le froid pour remplir le sceau à la rivière, tout comme elle l'avait déjà fait le jour précédent. Vous l'aurez compri, c'était la troisième matinée de suite que Druck envoyait Anastassia chercher de l'eau. Il était complétement c** celui là où quoi ? Il ne pouvait pas accepter de respecter ses propres régles !? Après tout, c'était lui qui avait voulu organiser un planning pour que personne ne se tape toutes les corvées pendant que les autres restent à glandouiller ! Anastassia poussa un soupir exaspéré. Alors qu'elle atteignait le rez-de-chaussée, quelqu'un - c'était sûrement Mark - l'attrapa par le bras. La jeune femme se dégagea d'un geste brusque et fonça en direction de la porte.

A peine eut-elle posée un pied dehors qu'elle se mit à frissonner et que ses dents s'entrechoquèrent. La petite robe marron qu'elle avait sur elle lorsqu'elle s'était réveillée au milieu de ce parc ainsi que le gros pull et le vieux pantalon qu'elle avait trouvé au fond d'un placard ne suffisaient pas à la protéger du froid. Il faut dire que la jeune fille a toujours été très frileuse. Et pourtant, vivant en Russie, où le temps était toujours très frais, on aurait pu croire qu'elle était habituée aux basses températures. Mais non. C'était même loin d'être le cas. Contrairement à son frère, Anastassia avait beaucoup de mal à supporter le temps qui se dégradait un peu plus de jour en jour. La jeune fille fut parcourut d'un frisson. C'est alors qu'elle décida de bouger du perron. Elle était restée immobile durant plusieurs secondes, à attendre elle ne savait quoi. Peut être espérait-elle tout simplement qu'une solution à tout ce bazzar lui sauterait aux yeux, qui sait ? Dans tous les cas, ça n'avait pas marché, puisqu'au loin, elle ne voyait rien d'autre que la forêt, et que dans sa tête, les seules choses qui passaient étaient les pires insultes Russes qu'elle pouvait trouver à l'intention de Druck. Celui là, il ne perdait rien pour attendre ! Anastassia descendit les marches du perron, laissant son sceau se balancer de droite à gauche à chacun de ses pas. Elle lui jeta un regard assassin. Elle avait beau chercher dans ses souvenirs, elle ne se rappellait pas avoir déjà haïe un objet à ce point. Il faut dire qu'habituellement, elle ne possédait que les meilleures choses qui soient. D'ailleurs, c'était peut être ça le plus dur pour elle. Elle avait grandit dans le luxe, ayant toujours tout ce qu'elle désirait, et voilà qu'elle se retrouvait à vivre à l'âge de pierre. Plus d'eau courante, plus d'électricité ... plus rien. Quand est-ce que tout ce cauchemar allait se terminer ? Quand est-ce qu'elle réussirait à retrouver sa famille, ses amis, sa maison, son argent && sa ville ? Elle en était persuadée, ce serait pour bientôt. Restez simplement à trouver une solution au problème. Ce qu'elle n'arrive pas à accepter, c'est que ce problème est sans solution ...

La jeune fille progressait en direction de la rivière, accélérant le pas au fur et à mesure pour se réchauffer. Tout en marchant, elle ne cessait de se poser des questions. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait accepté d'aller remplir ce maudit sceau. Après tout, qu'est-ce que Druck pouvait bien lui faire ? A par pousser une grosse beuglante parce qu'elle ne respectait pas SES maudites règles - que d'ailleurs, personne n'avait approuvées - elle ne voyait pas ce qui pouvait se passer d'autre. La jeune fille passa sa main dans ses longues boucles brunes et laissa échapper un soupir. La vérité était bien simple : elle avait peur. D'habitude, elle se fichait royalement de ce que pouvait penser les autres, elle était intouchable, mais là, elle n'était plus la petite fille des Pouchkine à qui personne n'osait dire non. Pire, pour la plupart des gens d'ici, elle n'était rien de plus qu'une jeune Russe de 20 ans, paumée, égoïste, narcissique, capricieuse et à moitié folle. Certes, cette description que certains faisaient d'elle n'était pas entièrement fausse, mais elle n'était pas non plus le reflet de la réalité. Ben oui, elle n'a quand même pas que des défauts ! Mais bon, si vous avez une idée déjà définie, c'est votre problème. On dit toujours qu'il ne faut pas se fier aux apparences, et je vous le confirme, derrière l'air hautain de la jeune fille se cache un grand coeur et une vraie sensibilité. Reste à réussir à percer sa carapace ...

Perdue dans ses pensées, Anastassia ne regardait pas où elle marchait. Ainsi, quand un grand « CRAC » sonore se fit entendre, elle sursauta brusquement et jeta autour d'elle un regard paniqué. Qu'est-ce que c'était ? Baissant les yeux vers le sol, elle vit sous ses pieds un morceau de branche brisé en deux. La jeune fille poussa un soupir soulagé et releva la tête. C'est là qu'elle croisa son regard. Il était torse nu, au bord de la rivière, le torse humide et l'air frigorifié. Anastassia lui adressa un mince sourire avant de s'avancer vers lui. Elle ne le lâcha pas des yeux. Depuis le jour où elle s'était réveillée au milieu de ce parc, elle n'avait pas oublié son visage. D'ailleurs, dès qu'elle le croisait dans les couloirs du château, dans le salon ou dans une quelconque autre pièce, elle le saluait. Elle ne comprennait pas vraiment pourquoi, mais c'était ainsi. Peut être parce qu'on n'oublie pas la première personne à qui on s'adresse lorsqu'on débarque dans l'inconnu, ou peut être simplement parce qu'il y avait quelque chose d'attirant en lui, quelque chose de différent. Anastassia ne savait pas vraiment. Elle posa son sceau sur le sol, et serra ses bras sur sa poitrine. Comment faisait-il pour rester torse nu alors qu'il faisait un froid de canard ? La jeune fille lui aurait bien posé la question, mais bizarrement, elle avait presque envie de ne pas briser le mystère et l'étrangeté de leur relation. Dire bonjour à quelqu'un sans même connaître son nom, elle trouvait ça ... presque excitant. Certes, ça l'aurait été mille fois plus dans un autre contexte, mais elle voyait justement là une occasion de surmonter la situation. Anastassia resta donc silencieuse les yeux fixés vers la rivière, mais le Japonais coupa court au bruit du ruissellement de l'eau qui trottait dans la tête de la jeune femme. Cette dernière leva les yeux vers lui et ne répondit pas. On aurait pu croire qu'elle n'avait pas compri un traitre mot de ce qu'il avait dit, mais elle avait simplement envie de rester secrète. Il poursuivit tout de même, en lui demandant son prénom. Ca, c'était hors de question. Anastassia lui adressa un nouveau sourire, avant de lâcher dans un très bon anglais, une pointe de colère dans la voix « Je suis de corvée en effet ... ». La jeune fille songea à Druck. Elle n'avait qu'une envie : lui mettre son poing en plein visage. Mais pour le moment, il n'était pas là, alors autant l'oublier. Anastassia gardait toujours les yeux fixés sur le Japonais, son habituel petit air hautain ne l'avait pas quitté, et un sourire mystérieux avait prit place sur ses lèvres. Comment réagirait-il à son silence concernant son prénom ?